Prologue : Silas

Je suis assis, face à la scène, ni trop près ni trop à l’écart. C’est l’endroit parfait pour profiter au mieux de la représentation. Comment le sais-je ? Ce n’est pas ma première fois, loin de là. Depuis le début de la saison, je suis sans aucun doute le spectateur le plus assidu des ballets de Gilded Bay, sous les ors de l’opéra municipal.

Est-ce que quelqu’un a remarqué mon manège ? Aucune idée. Je m’en moque, tant qu’elle ne l’a pas vu. Comment le pourrait-elle de toute façon ? Je serai parti avant que les applaudissements finaux ne retentissent. Les violons de l’orchestre accélèrent, mon rythme cardiaque suit le même tempo. Je sais exactement à quel moment elle va entrer en scène. Telle l’horloge à la précision la plus ultime, elle apparaît pleine de grâce et de charme, parfaitement synchronisée avec la musique. Les spectateurs retiennent leur souffle. Moi, peut-être un peu plus que les autres.

Je m’en veux pour ça.

Je m’en veux qu’après toutes ces représentations, qu’après toutes ces années, elle ait encore ce pouvoir sur moi.

Bientôt, tout cela sera fini. Si elle me haïssait jusqu’alors, je ne sais pas quel est le mot qui pourra définir le sentiment qu’elle aura à mon égard, d’ici à quelques jours. Sur cette scène, elle est une reine. Dans la vie, elle n’est rien de moins qu’une princesse. Moi, je suis celui qui va menacer et abattre son roi et je gagne toujours mes batailles. Celle-ci, je la prépare depuis longtemps. J’ai passé des heures à chercher un angle d’attaque et je l’ai enfin trouvé.

Pourquoi je le fais ? Je me suis posé la question des centaines de fois. Je crois que la réponse est assez simple : j’en ai besoin. Je dois avancer, tirer un trait définitif sur mon histoire. Mon père est sous les verrous, il ne me reste plus qu’à faire tomber celui qui a supprimé le peu d’espoir qu’il subsistait en moi. Si, en faisant ça, je blesse au passage celle qui m’a arraché le cœur de la poitrine, je ne vais pas m’en excuser. Elle mérite de souffrir au moins un peu pour ça.

Elle virevolte avec aisance sur scène. C’est comme si le bout de ses pointes effleurait à peine le sol avant qu’elle ne reparte dans les airs. Son partenaire glisse une main autour de sa taille pour la guider. Je sais qu’il peut la sentir sous ses doigts. Je ne ressens aucune jalousie. Il n’y prend certainement aucun plaisir. Ce sont des gestes qu’ils ont dû répéter des milliers de fois. Mais je m’interroge tout de même : est-il en mesure de constater combien sa peau est douce ? A-t-elle toujours le même parfum d’amande? C’est une des choses dont je me souviens le mieux, à propos d’elle. Non pas que j’ai eu la chance d’explorer son corps, comme je l’aurais souhaité à l’époque. Mais je reconnais qu’à chaque fois que sa petite main gracile emprisonnait la mienne, j’étais stupéfait par la délicatesse de son épiderme. Ce n’était peut-être qu’une réaction de mes hormones d’adolescent… va savoir.

Le rythme accélère, les violons comme les cuivres s’emballent. Les pirouettes s’enchaînent sur scène, les spectateurs sont subjugués. On approche du final, l’apothéose qui déclenchera une salve d’applaudissements. Il est temps pour moi de partir. Je n’ai pas peur qu’elle me reconnaisse dans l’obscurité. Je ne souhaite juste pas assister au salut, au sourire triomphant qu’elle aura, heureuse d’avoir réussi sa prestation. Je ne veux pas voir son sourire, parce que c’est lui qui m’a accompagné pendant trop longtemps, et moi, j’ai perdu le mien, il y a une éternité.

 

 

Chapitre 1 : Silas

De nos jours.

 

— Maître Bennett, votre rendez-vous est arrivé.

Je ferme la fenêtre sur l’écran de mon ordinateur et me rencogne dans mon siège le temps d’un soupir. Une pulsion d’adrénaline parcourt mon corps.

C’est le moment.

Je me redresse et me lève pour aller accueillir mon visiteur à la porte. Il va avoir besoin d’encouragements. J’étais quasi sûr qu’il me ferait faux bond. Il arrive, guidé par Haley, mon assistante, et sur son visage se lit un sentiment bien précis : il est terrifié. À sa place, je le serais assurément. Ce qu’il s’apprête à faire, plusieurs ont refusé de le faire avant lui, ou se sont dégonflés en route. Alors, il a peut-être l’air d’un petit animal face à un prédateur à cet instant, mais s’il franchit la porte de mon bureau et me donne la validation finale, il sera l’homme avec la plus grosse paire de couilles que j’ai vu depuis un certain temps.

Je lui tends ma paume pour la lui serrer.

— Bonjour, Jack, je suis ravi que vous soyez là.

Les effusions chaleureuses, ce n’est pas mon truc. Encore moins d’appeler mes clients par leur prénom. Mais Jack Sanders a besoin d’un petit coup de pouce et s’il faut que je lui paraisse sympathique, ainsi soit-il.

Sa poignée de main est raide. Il me suit et alors qu’il s’assoit sur le canapé que je lui désigne, mon assistante lui demande :

— Vous souhaitez quelque chose ? Un verre d’eau, peut-être ?

Il est bien trop nerveux pour le café, en cela, Haley a vu juste. Il décline l’offre d’une voix discrète et polie. Haley disparaît en fermant la porte derrière elle. Nos regards se croisent et se comprennent, elle sait qu’il ne faudra pas me déranger, peu importe qui désireme parler. La seule raison qui me ferait sortir de mon bureau serait que le bâtiment soit en feu.

— Je suis heureux de vous voir aujourd’hui, Jack.

— Je n’étais pas sûr de venir, m’avoue-t-il.

— Je conçois pourquoi.

— Ma femme pense que je suis fou. Elle m’a supplié de ne pas le faire.

— On en a déjà parlé. Vous savez que j’ai les moyens de vous protéger.

Ses yeux se fixent sur le tableau au mur, mais je suis persuadé que ce n’est pas l’œuvre impressionniste qui le subjugue. Il préfère éviter mon regard. Est-ce à cause de mon air déterminé ? Est-ce que je l’impressionne ? Aucune idée. Mais c’est bien qu’il ait peur, cela montre qu’il a saisi la gravité de ce qu’il s’apprête à faire.

— Je me suis un peu renseigné sur vous, admet-il.

— Ah oui ? Et qu’avez-vous appris ?

Je pose la question avec désinvolture, il n’est pas né celui qui découvrira quelque chose d’important sur moi. Des gens me payent pour garder leurs secrets, mais ceux que je cache le mieux, ce sont les miens. Même mes deux meilleurs amis, Kellan et Ezio ne savent pas tout. Même elle… Surtout, elle.

— Vous faites partie de l’Agence.

Ce n’est pas une interrogation et à vrai dire, pas une grande révélation non plus. Jack Sanders évolue dans des sphères haut placées et plusieurs personnes de son entourage ont eu recours à l’Agence. C’est comme ça d’ailleurs que j’ai pu le contacter et le mettre en confiance.

— C’est exact.

— On dit que vous avez un des meilleurs carnets d’adresses de la ville.

— Ah oui ?

Je prends un air faussement étonné. Là encore, ce n’est pas une surprise, même si Kellan prétendrait que c’est lui qui a le plus de noms dans ses petits papiers, mais comme il ne refusera jamais de les partager avec moi…

— La rumeur annonce que vous êtes lié à la famille Klein.

Il parle d’un des plus gros industriels de ce pays.

— Ce n’est pas une rumeur, il suffit d’ouvrir un simple journal à la rubrique mondaine pour en avoir la confirmation.

Vika Klein est ma demi-sœur et les paparazzis adorent dès qu’on se trouve tous les deux quelque part, ne serait-ce que pour boire un café. J’apprends doucement à faire la connaissance de cette sœur dont je n’ai jamais voulu, mais est-ce qu’on demande aux gens leur avis sur cette question, de toute façon ? Alors même si Vika a le désagréable inconvénient de faire partie de la famille Klein, elle est plutôt cool. Le fait qu’elle soit amoureuse de mon meilleur ami Ezio est un plus, je dirais. Celui qu’elle adore me traîner avec elle dans des activités m’obligeant à rencontrer d’autres individus, un gros moins. Mais j’opère des efforts.

— Je suppose que grâce à elle, vous avez des appuis ?

C’est étonnant qu’il se fasse cette réflexion, car s’il connaissait Vika, il saurait que c’est la personne la plus désintéressée du monde. Par contre, si on considère son père et son frère aîné… Bref, si Jack Sanders est d’accord pour travailler avec moi à cause de ma potentielle connexion avec la famille Klein, je ne vais pas couper court à son imagination.

— Elle m’ouvre quelques portes, en effet, réponds-je vaguement.

Il hoche la tête comme s’il savait de quoi je parle. Je ris sous cape.

— Dites-moi, Jack, vous êtes venu jusqu’à moi aujourd’hui pour une bonne raison. Vous êtes prêt à franchir ce pas ?

Ma question a l’avantage de le faire se reconcentrer sur moi. Au fond de ses yeux bleus, il y a toujours de la terreur, mais il y a une petite pointe de détermination. C’est ça que je veux, que je cherche désespérément depuis des années.

— Oui, il faut que les agissements de Richard Miller cessent. Je sais que je risque gros. On ne va pas se leurrer, je risque de tout perdre. Je vais tout perdre. C’est presque une certitude.

Il soupire avant de reprendre.

— Mais quand je pense à tous ces gens qu’il a… arnaqués. À qui il a menti ! Je ne peux plus en dormir la nuit. Eux aussi vont tout perdre, je n’y pourrai rien. Mais si je peux minimiser un peu leur chute, ou du moins éviter qu’il y en ait d’autres.

Son rire est triste.

— En un sens, ça me semble ridicule, une goutte d’eau dans un océan de catastrophes.

— C’est déjà mieux que rien, Jack. Pensez à toutes ces familles qui ont été trompées. Alors oui, certaines vont se retrouver sur la paille, mais si on ne fait rien, ce sera encore pire. Le procureur a un dossier solide, il ne lui manque qu’un témoin clé et vous pouvez être celui qui change tout.

Il hoche la tête avec résignation. En moi, un soulagement s’opère. Il va le faire et c’est exactement ce qu’il me dit quand son regard plus sûr que jamais se pose sur moi.

— Allons-y, Maître Bennett, faisons tomber Richard Miller.

 

***

 

Quand je quitte mon bureau, le jour est déjà tombé depuis longtemps. Les couloirs sont déserts, même Haley est partie il y a une heure, non sans m’avoir commandé à dîner auparavant.

Dans le parking, le déverrouillage de ma voiture se fait sans bruit. Je déteste ces modèles qui bipent dès qu’on a le malheur d’enfoncer un bouton de la clé magnétique. Je me glisse sur les sièges en cuir du coupé sport, le moteur ronronne. J’ai deux options : me rendre chez moi et retrouver l’atmosphère stérile de mon penthouse, ou bien aller au Prysm, le club de mon ami Kellan. Je suis d’humeur pour un peu de compagnie ce soir, alors je prends la direction du quartier le plus animé du centre-ville. Je dois aussi parler à mes deux associés de l’Agence et quelque chose me dit que ce sera mieux avec un verre de scotch dans les mains.

Mon bolide confié au voiturier, le videur m’ouvre la porte en me saluant par mon nom. J’entends des jeunes femmes glousser dans la file d’attente, je ne leur prête aucune attention. Elles espèrent probablement attirer la mienne pour entrer plus vite ? Désolé, je ne suis pas d’humeur.

Je traverse la première salle dans laquelle les danseurs se pressent. Encore une fois, je n’y apporte aucune considération. Ce n’est vraiment pas mon truc. Un deuxième videur m’entrebâille la porte au fond, celle qui donne accès au club privé. Là-bas, on trouve une atmosphère bien plus en phase avec ce que je recherche. Discrétion, luxe et business sont les maîtres mots.

La lumière douce de la pièce me permet de distinguer des personnalités riches et influentes de la ville. Quelques-unes d’entre elles jettent un coup d’œil dans ma direction avec un signe de tête complice, habituées à ma présence. D’autres, qui ne m’ont jamais vu auparavant, me regardent avec intérêt, essayant de deviner ce que je fais ici. Mais personne ne posera la question à haute voix, ce n’est pas le style de la maison. Quelqu’un qui se montrerait trop curieux verrait sa carte de membre révoquée.

Des employés sans visage me saluent par mon nom. Je vais directement vers le bureau de Kellan. Personne ne se permet de m’arrêter, je ne prends même pas la précaution de toquer. Quand j’ouvre la porte, Kellan sursaute.

— Tu pourrais frapper ! rouspète-t-il.

— Je n’ai jamais frappé, pourquoi je commencerais aujourd’hui ?

— Parce que je pourrais être occupé.

On sait tous deux qu’il ne parle pas d’une situation où je le surprendrai en flagrant délit de faire les comptes.

— Ça ne t’a jamais gêné auparavant.

— Maintenant, oui.

— Quoi, Sahlia n’apprécie pas de faire un peu d’exhibitionnisme ?

Je fais exprès de l’agacer, ça m’amuse. Mon pote qui était le plus gros queutard de cette ville est devenu un homme marié qui pourrait embrasser le sol que sa femme foule si ça lui faisait plaisir.

Le regard qu’il m’adresse pourrait à lui seul perforer un gilet pare-balles.

— C’est à ça que sert le verrou sur ta porte, gros malin, ajouté-je en désignant celle-ci.

Comme un fait exprès, Ezio l’ouvre à son tour, et il n’a pas frappé.

— Bordel ! Mais c’est pire qu’une boulangerie ici ! crie Kellan.

— Tu devrais installer un de ces carillons à la porte, au moins tu ne râlerais pas quand on entre sans frapper.

— Je vais sérieusement y penser, bougonne Kellan. En attendant, je crois que j’ai besoin d’un verre. On reste ici, ou bien on se pose au bar ?

Le bar du club privé du Prysm contient les meilleurs alcools disponibles sur le marché, pourtant, je ne vais pas me laisser tenter tout de suite.

— Dans ton bureau, je n’ai pas envie qu’on nous entende.

Mes deux associés de l’Agence échangent un regard que je ne sais pas interpréter, mais je ne m’attarde pas là-dessus.

Je n’y vais pas par quatre chemins :

— Il faut qu’on vire Randy.

Ce n’est apparemment pas ce à quoi ils s’attendaient si j’en juge leurs expressions étonnées.

— Randy ? répète Kellan pour vérifier qu’il a bien entendu.

— Qu’est-ce qu’il a fait ? demande Ezio tout aussi surpris.

— C’est le fils de Richard Miller.

— Sans blague, répond Kellan.

Le sarcasme dans sa voix confirme que je ne lui apprends rien. Si cela avait été le cas, j’aurais sérieusement mis en cause les compétences de mon ami. J’ai exigé de Randy qu’il n’utilise pas son vrai nom de famille en lui expliquant que dans notre boulot, il valait mieux qu’on n’établisse pas le lien avec son père, mais je n’ai pas fait les choses dans les règles de l’art. N’importe qui avec une connexion internet aurait pu trouver sa véritable identité en trois clics.

— Je sais que tu as embauché Randy sans trop nous en parler et tu ne nous as jamais dévoilé les raisons qui t’ont poussé à le faire, mais pourquoi vouloir t’en débarrasser maintenant ?

— Parce que c’est le fils de Richard Miller.

— Oui… alors je sais que dernièrement, on a eu le cas de Vika qui a découvert que son père n’était pas vraiment celui qu’elle pensait, mais dans le cas de Randy, rien n’a changé.

— Je vais assister un témoin dans une affaire dans laquelle il va être mis en cause.

Le silence s’étire dans la pièce. Je ne voispas bien s’ils essayent de déterminer si je plaisante ou s’ils sont sous le choc de mon annonce.

— Tu vas traîner en justice Richard Miller ?

À la façon dont Kellan pose la question, c’est comme s’il me demandait si j’étais bien sûr d’opérer une castration volontaire.

— Pas réellement moi, mais disons qu’un procureur va se retrouver en présence de documents incriminant Miller de manière sérieuse. Il a déjà ouvert une enquête et d’ici à quelques jours, je vais lui fournir un témoin fiable, prêt à coopérer et qui se porte partie civile. J’ai bon espoir que d’autres suivront son exemple, par la suite.

Ezio se laisse tomber sur le fauteuil.

— Tu as perdu la tête ?

— Absolument pas. J’ai étudié mon cas depuis longtemps, il sombrera, c’est certain.

— Miller a des appuis que même nous…

— Détrompe-toi. Il n’a pas l’avantage sur ce coup-là.

Kellan ouvre la bouche, la referme, puis finit par dire :

— Même venant de toi, c’est… audacieux.

— Je crois en mes chances.

— Et pourquoi vouloir virer Randy ? Il travaille pour l’Agence, pas pour ton cabinet.

— C’est pareil, je ne peux pas avoir le moindre conflit d’intérêts.

— Et le fait qu’il a bossé pour nous avant ce procès…

— Coïncidence, et dois-je te rappeler qu’officiellement, l’Agence n’existe pas ?

— Ouais, ouais… il n’empêche que…

Ezio interrompt Kellan :

— On sait très bien que le problème n’est pas là, Silas. On fait semblant de ne rien voir depuis des mois avec Kellan, mais on imaginetous les trois pourquoi tu t’en prends à Miller.

Mon silence est ma seule réponse.

— Bordel, Silas ! On est au courant que tu vas l’observer danser, ne me fais pas croire qu’il n’y a pas une vengeance, là-dessous ! Ou une obsession ! On t’a laissé embaucher le gamin, car on a pensé que tu t’en voulais peut-être pour quelque chose ou que tu te sentais redevable. On n’a rien dit non plus quand on a constaté que tu passais tes soirées à l’opéra, parce qu’on a imaginé que tu en avais sûrement besoin pour faire la paix avec, je ne sais quoi. Mais de là à traîner son père en justice…

— Je suis avocat, un client est venu me trouver avec un problème, je lui apporte une solution.

— Il a frappé chez toi comme par hasard ? À d’autres ! On est conscients que tu renifles la piste de Miller depuis des années. Dis-moi, est-ce que c’est pour ça que tu as embauché Randy ? Pour lui soutirer des infos, l’air de rien ? Est-ce qu’il a une idée au moins de qui tu es ?

— Randy ne sait rien. Tu sais très bien qu’à part vous deux, les Klein et Arsène personne ne connaît ne serait-ce que mon vrai nom. De toute façon, Randy était beaucoup trop jeune à l’époque.

Ezio passe une main sur son visage et dit :

— Donc c’est quoi le plan ? Tu te pointes à l’audience et tu leur ricanes au nez en annonçant : je vais détruire votre famille et ce sera bien fait pour vous ?

Je déglutis et prends mon temps pour répondre.

— Je le fais pour les tas de gens que Miller a floués. Avec le témoin que j’ai trouvé, je peux apporter la preuve qu’il a monté un schéma de Ponzi. Il y a des centaines de victimes ! C’est le Bernard Madoff de Gilded Bay !

— Soit… dit Kellan. Mais tu ne peux pas refiler le bébé à quelqu’un d’autre ?

— Tu rigoles ? Ce procès est une opportunité de carrière…

Je suis coupé dans mon élan par les expressions dubitatives de mes amis. Je précise alors :

— Je ne fais pas ça pour moi.

Mes deux potes m’adressent un regard qui indique qu’ils n’en croient pas un mot. Ils n’ont pas tort. Je sais au fond de moi pourquoi j’ai envie de livrer cette bataille. Je le fais pour l’adolescent que j’ai été, celui qui a disparu et que pour rien au monde, je ne voudrais voir réapparaître. Mais pour l’oublier, j’ai besoin de ça. J’ai besoin de faire souffrir les Miller, pas seulement parce qu’ils le méritent, mais parce qu’il faut que je puisse effacer les promesses de celle qui m’a trahi.

Alba.

— Est-ce que tu fais tout ça pour te reconnecter avec Alba ? demande Ezio sans sembler y croire.

— Si c’était le cas, tu n’imagines pas qu’il y aurait une façon plus simple ?

Je me redresse et ferme le bouton de ma veste.

 

— Alba est morte pour moi et elle m’a fait comprendre il y a bien longtemps que c’était réciproque.